— TARLA —

« Ce qui marque ici, c’est la diversité des couleurs, des matériaux et des textures qui ornent l’espace. Difficile de repérer deux bâtisses identiques. Tu te trouves au milieu d’une immense mosaïque où chaque détail témoigne d’une intervention individuelle. Elle semble parfois répondre à un besoin pratique, un caniveau réparé, un muret ajouté ou raboté, une grille soudée à la place d’une fenêtre, une porte colmatée.. Ou bien une préoccupation esthétique, le dallage d’un trottoir, la peinture d’une façade, le revêtement d’un escalier ou d’un seuil. C’est comme si les habitants, selon leur besoin et leur goût, avaient rendu incertain ce qui délimite le privé du public, me façonnant au coup par coup, sans concertation ni cohérence apparente. Les couches se juxtaposent et se superposent au fil des intersections sans rupture ni continuité. On devine ainsi l’état ancien de cette maison partiellement repeinte, on imagine qu’il manquait une ou deux marches devant cette porte, on suppose que ce trou dans la chaussée méritait d’être comblé. Les linges et les drapeaux, suspendus transversalement, rythment de la même manière l’étroit ciel qui change au gré des ménages. Alors que tout ici semble fait pour être sans ordre, c’est pourtant cette variété dissonante qui me donne mon identité matérielle propre. Les limites visuelles, omniprésentes, demandent à être en permanence contournées pour découvrir le paysage qui se cache au prochain croisement. L’horizon, toujours proche du fait de la promiscuité des lieux, rend ainsi hasardeux le cheminement du visiteur qui se serait, comme toi, aventuré dans ce musée labyrinthe à ciel ouvert.

JE SUIS LA RUE. »